mardi 2 avril 2019

Lecture : Emmanuel Carrère - Le Royaume

Emmanuel Carrère a choisi de ne plus publier de roman depuis 1995 et le très réussi "La classe de neige". Depuis il poursuit une oeuvre abondante et protéiforme qui démontre son aisance dans tous les genres de l'écriture. Enquêtes, articles de journaux, biographies : il est devenu un spécialiste d'une certaine littérature du vrai. Cinéphile averti, il intervient également dans le milieu du septième art, scénariste et réalisateur de plusieurs cours et longs métrages. 

Avec "Le Royaume" publié chez son éditeur historique POL en 2014 (et qui reste, à ce jour son dernier récit édité), l'auteur s'interroge sur la survivance des écrits de Paul et de Luc dans notre société actuelle. Au-delà, il se sert de ces questions pour s'interroger sur sa propre période mystique, trois années durant lesquelles il lisait les évangiles et les commentait. 

Ce qui est fort avec Emmanuel Carrère, c'est qu'il parvient à capter l'attention d'un lecteur à priori totalement étranger à un sujet et à l'entraîner dans son petit monde. Concernant les origines du christianisme, il s'attaque à un sacré sujet, énorme et intimidant à plus d'un titre. Pourtant il parvient à faire entrer son lecteur dans ce bouquin avec une facilité déconcertante. Le talent de Carrère relève de la sorcellerie : on a beau relire ses lignes, la façon qu'il a d'enchaîner les paragraphes, de présenter ses idées, d'organiser les voix intérieures (celle de l'auteur, celle de l'ancien pratiquant...) Tout parait tellement facile et évident : il en faut de la classe et du travail pour arriver à un résultat pareil. De quoi pas mal cogiter quand on se pique d'écrire soi-même...

Lorsqu'on referme ce bouquin, en ayant sauté pas mal de pages en ce qui me concerne, on ne peut qu'être admiratif devant le boulot accompli par l'auteur. 
Le problème, c'est que je suis réfractaire à tout sujet religieux. Même quand c'est fort bien écrit et que c'est intelligent sans être chiant, comme Carrère l'est ici. La dimension culturelle  - que je ne conteste nullement - de l'origine du christianisme ne suffit pas à m'intéresser. La religion reste, avec le football et l'économie, les trois sujets qui me donnent la nausée. Sachant qu'avec le sexe, il s'agit des quatre domaines qui font tourner le monde, on comprend aisément que j'appartiens à la catégorie des loosers. Et par la même occasion, à la catégorie de ceux qui n'ont pas accroché à ce livre, pourtant riche, foisonnant, intrigant, savant mais jamais didactique, bref, un bouquin qui ravira les amateurs de Carrère comme ceux qui veulent se payer un peu plus de six cents pages d'histoire et de critique personnelle sur le christianisme et la place de Luc et de Paul au XXIème siècle. 
Pour les autres, comme moi, il reste les interlignes, ces paragraphes intéressants qui se dissimulent dans les interstices, lorsque Carrère élabore des pensées qui dépassent le cadre du strict christianisme et qui les replace dans la cinématique du vivant, de l'homme. Ou lorsqu'il sort du cadre purement historique du récit pour y intercaler des réflexions sur les moments où sa vie personnelle a fait écho à un passage de l'évangile. Là, oui, c'est foutrement agréable à lire. 

Extraits
"C'est ce que je veux penser, de toutes mes forces: que l'illusion, ce n'est pas la foi, comme le croit Freud, mais ce qui fait douter d'elle, comme le savent les mystiques.
Je veux penser cela, je veux le croire, mais j'ai peur de cesser de le croire. Je me demande si vouloir tellement le croire, ce n'est pas la preuve que, déjà, on n'y croit plus.

(...)
Maintenant, ce qui fait la réussite d’un film, ce n’est pas la vraisemblance du scénario mais la force des scènes et, sur ce terrain-là, Luc est sans rival : l’auberge bondée, la crèche, le nouveau-né qu’on emmaillote et couche dans une mangeoire, les bergers des collines avoisinantes qui, prévenus par un ange, viennent en procession s’attendrir sur l’enfant… Les rois mages viennent de Matthieu, le bœuf et l’âne sont des ajouts beaucoup plus tardifs, mais tout le reste, Luc l’a inventé et, au nom de la corporation des romanciers, je dis : respect."

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