Au cours de mes trajets quotidiens entre la boite où je travaille et la boite où je dors, je traverse un bout de Lyon (en courant puisque nous n'avons pas le luxe de rester maître de notre temps).
Après avoir enjambé le Rhône et couru sur ce bout de terre triangulaire dont les côtés m'échappent toujours un peu et qu'on appelle ici la Presqu'île, une autre enjambée me fait passer de l'autre côté de la Saône. Là, juste avant d'arriver à la gare SNCF qui me permet de venir à la grande ville et d'en repartir à une fréquence imparable, il y a une librairie.
Avant, "L'étourdi de Saint Paul" était rouge. Je m'y arrêtais régulièrement, juste pour faire un peu de lèche-vitrine. Sans jamais prendre le temps d'y entrer car il y a le train à attraper, les enfants à récupérer... et une vie à essayer de ne pas faire tomber. Les vitrines des librairies, pour moi c'est comme les vitrines des pâtisseries pour les enfants. On déguste des yeux. Une couverture, un titre mis en évidence par les bons soins de librairies passionnés (il en faut pour faire ce beau métier) cela suffit à partir loin et tout de suite. On divague, on imagine, on suppute et on rêve : on est heureux. Juste quelques secondes volées à la presse implacable qui vous cisaille, le grand sablier n'attend pas.
Et puis le rouge s'est blanchi. Un matin les livres avaient disparu, comme dans un cauchemar. J'ai pensé qu'une part de mes rêveries quotidiennes venaient de s'envoler dans cette dimension étrange et inconnue où - j'imagine - les chimères finissent toujours par disparaître. Et que bientôt il pousserait à la place d'un passeur de rêves un marchand d'assurances ou un suceur de capitaux puisque nos centre-villes leur sont maintenant réservés. Mais non !
Maintenant, "La Virevolte" est bleue. Comme un quartier (d'orange bien sûr). La librairie a rouvert ses portes, après des travaux, un changement de nom, de couleur ce jeudi 13 octobre. Et j'ai pu retrouver ces lumières de l'autre côté de la vitre dans la nuit de 06h15 du matin, avec une libraire qui terminait sa mise en rayons. Et l'après-midi juste avant de sauter dans ce train rectiligne qui tente de faire rentrer ma vie de guingois sur des rails bien tracés, j'ai pu prendre quelques instants pour faire à nouveau du lèche-vitrine et saisir la poésie d'un instant volé au reste, juste un de ces petits moments innocents et discrets au cours desquels on sent que la vie palpite encore. Et qu'il faut la saisie à pleines pognes.
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